Illustration La Porte du dolmen – Le Bricoleur indigène
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Texte initialement publié dans la rubrique « Les métiers confinés » du journal L’Ersatz.

Depuis le début du confinement, je prends quotidiennement des nouvelles de mon père qui travaille au Port de Calais. Au port, j’y ai moi-même travaillé chaque été à compter de ma majorité pendant près de dix ans. Je sais son travail, connais bien ses collègues d’équipe et ce que le port attend de ces agents d’exploitation. 

Papa arrive à un  âge qui l’approche d’une retraite prévue à soixante ans. Une échéance susceptible d’être anticipée de quatre ans si l’État valide définitivement un plan de départ en cours de négociation le déclarant malade de l’amiante. Il fait les trois huit – deux matins, deux après midis, deux nuits et quatre repos – au sein d’une des cinq équipes de lamanage constituées chacune d’elles d’une vingtaine d’employés.

Le lamanage consiste à capeler (pour accrocher) et larguer les aussières (amarres) des ferry et à assurer le bon débarquement et embarquement des navires en prenant en charge circulation sur le port et conduite des passerelles.


Les ferries vont et viennent nuits et jours entre Douvres et Calais en se répartissent côté français le long de quatre postes équipés de passerelles piétons appelés coupés et d’un double pont passerelle superposé dédié aux accès bus, camions et voitures. Il faut six lamaneurs par bateaux, un véhicule neuf places pour déposer chacun d’eux devant le bollard de quai où ils sont affectés. Une fois le bateau amarré, les postes se répartissent ainsi : Un conducteur qui reste au camion, un chargé de coupé, un agent pour la passerelle supérieure, un autre posté dessous pour le pont inférieur, un agent de circulation en sortie de passerelles et un renfort restant avec le conducteur afin de constituer un binôme d’intervention rapide en cas d’avarie sur les amarres, sans avoir à interrompre le trafic.

Avec le Covid 19,  et alors que de l’autre côté de la mer le Premier ministre britannique a adopté près de deux mois durant la stratégie de ne rien faire avant de brusquement changer d’avis vendredi dernier, le port prend des mesures sanitaires afin que les lamaneurs poursuivent leur mission. « On est deux par véhicules, la direction nous en a fourni trois nouveaux lundi dernier. On les nettoie en début et fin de quart. Je sais pas trop si c’est efficace car là on astique les banquettes et plastiques avec le même produit qu’on utilise depuis 25 ans. On nettoie aussi les cabines des passerelles avec. Les coupés sont fermées et nous n’assurons plus la circulation. » Un service minimum qui selon mon père est cohérent avec les mesures de confinement imposées par le gouvernement. « Ce qui est le plus bizarre pour nous, c’est que d’un côté on nous dit de prendre des mesures hygiéniques, on se lave tout le temps les mains, on s’enferme dans nos maisons quand on rentre pour pas être contaminés mais de l’autre côté, sur le port on voit que le trafic routier n’est vraiment pas perturbé. Il y a toujours autant de camion qui vont, qui viennent. » 

A Calais, tandis qu’au service migration les agents contrôlent le taux de Co2 expiré dans les remorques, le Covid 19 est un clandestin qui semble encore pouvoir passer la frontière comme il l’entend dans un pays où toutes les barrières frontalières sont fermées, à l’exception de celle de La Manche.