Mardi 17 mars

J’écrirai et il s’agit moins d’une décision que d’une prévision

J’écrirai le matin à propos de la veille.

J’écrirai lorsque la douleur à l’épaule me sortira du lit pour m’amener jusqu’à la boite de Tramadol. J’écrirai et il sera aux alentours de 7h30, Marine se réveillera pour assurer son travail d’infirmière, je lui préparerai le café, avec une cuillerée de « sucre pas raffiné » comme elle a écrit un jour sur le bocal.

J’écrirai après qu’elle m’embrasse, alors que la porte soit claqué, partez !

J’écrirais tandis que derrière les murs, la maison des autre s’éveille.

J’écrirai tandis que la tranquillité de la mienne n’est pas encore contrariée par la machine qui lave le linge, par celle qui fait couler le café, ou celle qui retransmet les infos à la radio, sur le pc ou la télé.

J’écrirai avant que ma main éternelle adolescente, cherche son doudou, réclame son smartphone.

J’écrirai pendant le sommeil froid et inerte de ces engins précieux, plastiques, métalliques.

J’écrirai et pour que cela marche, je ruserai discret en grattant du vieux papier cahier.

J’écrirai à l’abri du présent et de ses machines.

***

Quinze jours reconductibles.

Aujourd’hui, c’est le premier jour, l’officiel premier jour.

On dira dans les livres c’est le 16 mars 2020 à midi que les français se plièrent au grand confinement.

De mon côté ça fait bientôt une semaine qu’avec ma clavicule on est assigné à résidence.

Quinze jours.

J’avais lu dans les heures précédents l’allocution que dans le but de s’aligner au stade trois de la pandémie qui prendra entre huit et douze semaines, la mise en quarantaine durera en réalité environ 45 jours.

45 jours j’ai beau faire, j’arrive pas à m’imaginer, j’arrive pas à ressentir, à soupeser cette temporalité, à réussir à me voir foutu dedans.

J’y crois pas une seconde aux quinze jours. Peut-être est-ce une façon de m’organiser avec le pire, de limiter l’effort à fournir, ajuster ma foulée en sachant que le trajet se fera dans un couloir éclairé béton carrelé de cent mornes bornes.

Si là-haut ils en annoncent 15 c’est pour que la grosse pilule puisse passer.

On fragmente pour limiter la propagation de la trouille et du désespoir.

C’est gentil quinze jours, ça à la même couleur marquettée qu’un challenge internet. Après Inktober, Movember, Dry january, amusons-nous avec le marchinment, quinze jours sans quitter la maison ! Quinze jours c’est des vacances.

Reconductible.

C’est un mot que j’entends que dans le professionnel. Un CDD reconductible tu peux souffler soulagé, quelque part poind l’espoir!

C’est bien fait, surtout que dehors il fait beau.

Quel beau temps pour tant de temps !

Puis regarde les gens, ils sont déjà aux balcons, ils chantent, on sera bien, santé et bravo le monde.

45 c’est tout à fait autre chose. C’est un mois et une rallonge d’un demi mois de plus.

Un mur lisse, sans prise, plus haut que moi et mon bras droit levé – le gauche est toujours en écharpe, faut pas oublier – il faut sauter, s’agripper à son sommet de justesse et hisser tout notre poids par le bout des doigts pour parvenir à le franchir. On y arrivera peut-être pas qu’on se dira, les boyaux en trouille formeront un chapelet de sanglots déperlant du fond de la gorge.

Imaginer ce qu’implique de ne pas y arriver consiste à poser un œil de bœuf sur la boite à possibles séquelles physiques et psychiques.

Je vois ça et là des promesses de noces, de grands banquets dressés dès la fin de la pandémie. Retrouvailles en barbecue claquette devant l’Élysée.

J’ai peur des symptômes du confinement, le laisser aller, la dépression, les violences physiques, les blessures verbales.

Toutes ces familles qui s’entre déchireront d’injustices domestiques, au point de se demander ce qu’ils ont au commun à part deux trois lignes ADN,

Tout ces gens mals en couple qui ne souhaiteront que se retrouver seuls quand les portes de tous se rouvriront.

Et ceux là seuls et isolés, qui ne sauront peut-être même plus comment tenir le regard de l’autre une fois l’autre retrouvé.

45 jours d’immobilité, de collectif contrit, de désir limité, de deuil, d’ennui.

Affronter tout ça, en sortir et se dire à soi et nos autres que c’était quand même malgré nous un sacrément beau voyage.

Vivement l’armistice.